Tout le monde ne peut pas être généreux envers l’Établissement Français du Sang (EFS). En effet, la législation française indique qu’une personne homosexuelle ne peut donner son sang uniquement si elle a respecté un an d’abstinence sexuelle. Grotesque. Fin juin dernier, un homme de 48 ans dépose un recours contre X devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) en raison de l’orientation sexuelle et atteinte au droit et au respect de la vie privée.
UN PARCOURS JUDICIAIRE
Il s’appelle Laurent Drelon. Il a aujourd’hui 48 ans, mais cela fait 11 ans qu’il s’est engagé dans une très longue procédure judiciaire, à l’aide de son avocat M. Spinosi et de son cabinet « qui tiennent beaucoup à l’affaire ». Première plainte en 2007, à la suite de plusieurs refus et d’une mention indélébile sur son dossier de donneur : FR08 qui l’empêche dans tous les coins du monde de faire un acte d’altruisme. Depuis 1983, les personnes homosexuelles ne pouvaient faire don de leur sang. Avant que cela ne change en 2016 lorsqu’ils obtiennent gain de cause au tribunal de grande instance de Paris illustrant un premier pas : « On a réussi à faire changer la loi, donnant la possibilité aux gays, bi, lesbiennes de pouvoir donner leur sang » nous confie-t-il. Cette première avancée, a été obtenue après maints procès : appel, cassation, question prioritaire de constitution… Mais cet arrêté du 5 avril 2016 pris suite aux procès n’est qu’à moitié juste : la condition d’un an abstinence sexuelle imposée par le gouvernement ne stigmatise pas moins que la précédente loi de 1983.
HOMOSEXUELS : UN COMPORTEMENT SEXUEL INCERTAIN ?
Fin 2017, le Conseil d’État refuse de lever cette condition d’abstinence au motif qu’elle se base « non sur l’orientation sexuelle mais sur le comportement sexuel ». Ainsi, la plus haute juridiction administrative catégorise les personnes homosexuelles comme une population ayant systématiquement divers partenaires incertains, ainsi que des rapports mal voire pas protégés. On n’est pas très loin de la vision de Sodome et Gomorrhe.
« Pour eux, être gay c’est une maladie. »
C’est néanmoins bien sur l’orientation sexuelle que le Conseil d’État se fonde : car conclure un procès sur un stéréotype datant de Mathusalem est une généralisation de cette population, des personnes homosexuelles ; et finalement de leur orientation sexuelle.
Orientation ou comportement sexuels ?
Voyons cependant ce litige sur comportement/orientation sexuelle plus en détails. Le ministère dans ses recommandations auprès du Conseil d’Etat définit un HSH comme homme ayant une relation sexuelle avec un autre homme. Il spécifie : « L’arrêté du 5 avril 2016 ne généralise pas le critère d’exclusion temporaire de 12 mois à l’ensemble des HSH candidats au don du sang ». En effet, la durée d’abstinence sexuelle concernant le don de plasma est fixée à 4 mois. « Cette filière place donc, concernant le plasma, les candidats HSH, les femmes d’orientation homosexuelle et les candidats hétérosexuels dans une réelle égalité au niveau des durées de contre-indication ». Cependant, il est précisé peu avant qu’il s’agit exclusivement d’« HSH mono-partenaires ». Cette appellation évoque donc le comportement sexuel du candidat concernant le don de plasma. Or, les HSH sont aussitôt assimilés aux femmes d’orientation homosexuelle. Il est clair que la question du comportement et de l’orientation sexuels est particulièrement confuse. Comment est-il possible en effet qu’une sélection digne de ce nom demeure impartiale en incluant tantôt des candidates pour lesquelles nous nous basons sur leur orientation sexuelle, tantôt des candidats pour lesquels nous acceptons leur don selon leur nombre de partenaires ? Comment cette sélection peut-elle rester légitime si elle admet des candidats aux comportements sexuels risqués sans considérer la pluralité des partenaires (hétérosexuels et femmes homosexuelles) ?
Un nombre insuffisant d’homosexuels
La mise en quarantaine des dons d’homosexuels est à cet effet une des solutions envisagée par le gouvernement afin de prévenir les risques d’infection : « la sécurisation par seule quarantaine, du fait des délais importants qu’elle suppose, ne permet pas de garantir l’autosuffisance de la France en matière de produits sanguins ». Le nombre de dons concernés par cette disposition ne serait pas assez important pour que la mise en place d’une telle mesure impacte l’approvisionnement de la France : évidemment, qu’ils ne sont pas assez nombreux. D’autant plus lorsqu’ils cachent leur homosexualité lors de l’entretien pré-don.
« C’est pareil pour le don d’organes. Moi je ne peux pas sauver des vies avec mon corps. »
HOMOSEXUELS : TOUS DES DONNEURS À RISQUE ?
En pleine santé, mais stoppé par FR08
« Le nombre de personnes infectées par le VIH : selon les modélisations récentes, la prévalence de l’infection par le VIH serait de 3% chez les HSH au cours des 12 derniers mois, alors qu’elle s’élève à 0,24% pour l’ensemble de la population ». Un autre élément : « Le nombre de nouvelles infections : en 2008, elle est évaluée à 1% chez les HSH et à 0,017% dans la population générale ». Ce ne sont que des chiffres. De simples chiffres implacables, des statistiques qui plombent et qui, encore, généralisent. L’entretien pré-don effectivement ne traite pas du cas individuel : car notre homme n’est pas malade. Ses médecins le disent, sa fiche de santé, et ses dernières analyses de sang. Il ne présente aucun virus : VIH, hépatites B ou C… De plus, il mène un mode de vie sain ; a fait du sport son métier (il est président de la Fédération française de fitness), a adopté un régime alimentaire végétarien depuis une trentaine d’années… Comme beaucoup d’autres gays, sa santé n’est pas plus préjudiciable que celle de personnes hétérosexuelles. Mais voilà, Laurent Drelon est fiché gay sous le code FR08 lui interdisant de don jusqu’en… 2078 ! D’ici là, on aura certainement trouvé une solution… Cependant, comment expliquer ce fichage, FR08, établi sans en faire part à Laurent ? En effet, il nous confie : « ce fichage a été fait à mon insu, c’est moi qui l’ai découvert plus tard quand j’ai voulu redonner du sang ». Chose extrêmement grave, dont Laurent tente d’en comprendre les raisons : « S’il venait à avoir un président homophobe comme au Brésil… Que vont-ils faire de ce fichage existant ? ».
Un questionnaire rempli de bonne foi…
Comment donc identifier les comportements à risque ? En réalité, une vérification plus poussée serait l’unique moyen de déterminer le risque de VIH chez chaque individu. Mais voici la recommandation du gouvernement : « En revanche, il n’était pas possible de prévoir un questionnaire et un entretien permettant une vérification plus ciblée (stabilité de la relation, caractère protégé des rapports sexuels en cause,…) que celle de la simple existence, pour un homme, de relations sexuelles avec un autre homme ». Tous les aspects évoqués ici caractérisent justement le comportement sexuel du candidat. Alors, comment croire encore que l’exclusion des homosexuels au don du sang se base « non sur l’orientation sexuelle mais sur le comportement sexuel » alors qu’il nous est avoué noir sur blanc que vérifier les agissements sexuels du candidat est strictement impossible ? Plus choquant plus loin encore, il est indiqué que « l’utilité du questionnaire repose en grande partie sur la bonne foi du déclarant ». La sélection des candidats au don du sang n’a jamais été d’ordre médical. Ce sont les candidats mêmes qui réalisent leur propre diagnostic, sans contrôles médicaux. Grotesque.
« La réalité c’est que je ne peux faire don de mes organes ou sang à personne… sauf à la poubelle. Et à côté on laisse mourir des milliers de gens par manque d’organe, de sang… »
Mais alors ? Cela signifie-t-il que n’importe qui peut mentir à propos de ses agissements sexuels à risques, au risque justement de contaminer le receveur ? Dans la recommandation du ministère, on a notamment anticipé la plaidoirie : « Si […] des questions plus poussées et individualisées sur les pratiques sexuelles des candidats, perçues comme intrusives [étaient intégrées au questionnaire] elles ne manqueraient pas de susciter au mieux une réaction d’auto-exclusion, au pire une fausse déclaration ». C’est cependant déjà le cas : certains candidats nient leur homosexualité lors de l’entretien pré-don, et renient ainsi leur orientation sexuelle, ce qui provoque déjà une réaction d’auto-exclusion.
« Quant aux donneurs qui cachent leur homosexualité… eux peuvent donner leur sang… Comme les hétéros. C’est vraiment un des pires scandales de notre siècle »
UN AN D’ABSTINENCE SEXUELLE, UNIQUE CONDITION
Nous ne pouvons exclure cependant le fait que des personnes homosexuelles peuvent contracter un virus tel que le VIH (au même titre que les hétérosexuels, je le rappelle) : il est alors indétectable dès les premières semaines. Comment donc expliquer un délai de 12 mois d’abstinence sexuelle ? En effet, il existe une méthode biologique qui vise à poser un diagnostic grâce à l’utilisation du sérum (constituant du plasma sanguin) : la sérologie. Cet outil de dépistage du sida mais aussi des hépatites, nécessite un délai de 22 jours seulement pour déterminer la séropositivité de la personne concernée. Ce délai est aussi appelé fenêtre sérologique. Comment donc justifier un délai aussi long ? Sacrée mesure de sécurité dis donc, on ne prend pas de risque. Le résultat apparaît négatif durant la fenêtre sérologique puisqu’il est impossible de détecter le virus durant les 22 jours qui suivent l’infection. C’est pourquoi le gouvernement a la volonté de mettre en place un deuxième test biologique qui permettrait de détecter bien plus tôt l’infection, cependant les contraintes matérielles suivantes entravent cette bonne volonté : « un deuxième test biologique […] présente des difficultés d’application concrètes : stockage de poches prélevées […], deuxième déplacement du donneur ». Voici de très grandes contraintes : souci anodin de place et de mobilité. Voilà pourquoi l’instauration de ce deuxième test biologique est impossible d’application. Autant affirmer qu’il y a clairement un manque de volonté.
« C’est une réelle injustice, mondiale en fait… Comme si nous étions des sous-hommes ou sous-femmes. »
La décision que devra prendre la CEDH concernera beaucoup plus de personnes que l’on ne pense : homosexuels français, mais aussi de nombreux patients qui bénéficieront de ces nouveaux dons. De plus, ce recours est d’autant plus crucial qu’il soulève une injustice qui concerne une multitude de pays : « Je ne pensais pas que ce dossier aurait un tel écho ». En effet, Laurent Drelon nous apprend que d’autres pays hors UE l’ont contacté ; Canada, Brésil… Car au-delà de sa plainte, de nombreux autres avocats attendent la réponse de la CEDH. Une bataille judiciaire dont l’enjeu nous fait beaucoup penser au duel Monsanto-Dewayne Johnson en vérité. La décision de la CEDH « va être suivie, attendue ». « Ça va faire jurisprudence dans les autres pays ». Laurent Drelon parle au futur ; car ce recours qui remet en questions les droits de l’Homme en France pourrait offrir une nouvelle voie pour les jeunes d’aujourd’hui sur d’autres injustices.
« Il y a des combats à mener pour les futures générations »